by: Gabriel Venet-Garbarini
Le marché des supermarché et épiceries coopératifs se développe de mieux en mieux en France et à Paris de manière générale. Rien qu’en France, on recense déjà plus d’une trentaine de supermarchés ou supérettes ouverts et actifs (1) et c’est sans compter les AMAP, bio Coop et autre coopératives alimentaires déjà existantes et très bien implantées mais qui proposent une gamme de produits plus restreinte et à une population très ciblée (en général, très localisée autour du point de distribution).
Si le marché des supermarché coopératifs et participatif en France est une vraie question, j’ai choisi de me concentrer principalement sur la ville de Paris et plus spécifiquement le 20e arrondissement.
Parce que c’est l’arrondissement dans lequel je vis, l’un des plus grands de la capital et qu’il dispose de la plus importante diversité sociale et culturelle, le 20e arrondissement n’est pas le plus représentatif mais est le plus intéressant et le plus fascinant.
La vie commerçante à Paris
En 2016, un projet de Halles Alimentaire a été mis à l’étude par l’inspection générale de la ville de Paris et le rapport qui en découlait (2) faisait mention de la nécessité de redynamiser certains quartiers en améliorant l’offre commerçante. Il ressort notamment que le 20e arrondissement était déjà en 2014 l’un des arrondissements dont le rapport densité de population/vie commerçante était le plus faible (3).
Cette démarche de la part de la ville démontre le lien vitale qu’entretiennent les habitants avec leurs commerces de proximité. Dans une capital ou le taux des ménages équipés d’une voiture était de 36,8% en 2014 (4) et que ce taux va en diminuant, on comprend vite l’importance des commerces de proximité pour les habitants. Se déplacent principalement à pied ou en transport en commun et n’ont donc pas le réflexe de faire des “pleins” pour plusieurs semaines même si la plupart des supermarchés proposent aujourd’hui des services de livraisons à domicile.
On sait également que les parisiens, plus que les français, privilégient davantage les commerces de proximité et les marchés que les grandes surfaces. Un désir de proximité qui appelle à plus d’échanges et de proximité, peut-être en raison de la vie dans une grande ville (5)?
Vie de quartier, vie associative dans le 20e
Paris compte aujourd’hui entre 66 000 et 77 000 associations et depuis 10 ans, les 18, 19 et 20e arrondissements représentent le quart des toutes les créations d’associations parisiennes (6). Parmi ces trois arrondissements qui accueillent la plus grande diversité socio-économique de la capital, le 20e est celui qui rassemble la plus grande diversité de population à la fois socio-économique mais aussi culturelle (7). Quartiers prioritaires, quartiers “politique de la ville”, quartiers “à valeurs ajoutées”, le 20e est découpé en autant de zone qu’il y a de quartiers. Et si chacun a sa spécificité et sa personnalité, le maître mot, à quelques exception près, semble être la mixité et le désir de vivre ensemble: vide-grenier, animations sur les places, fêtes, commémoration, concerts en plein air, toutes les occasions sont bonnes pour descendre dans la rue et partager un moment avec ses voisins.
Le “Collectif Paris 20” sur Facebook est un groupe d’habitants du 20e qui compte près de 6 400 membres et qui permet de partager des bons plans, d’échanger des idées ou de s’entraider. Depuis 2 ans, les tentatives d’ouvertures d’un groupe similaire dans les autres arrondissements comme le 19e (3 900 membres) ou le 18e (1 900 membres) n’ont pas été couronnées de succès.
En revanche, le groupe “Village Jourdain” dans un des quartiers du 20e et dont l’objectif était de faire vivre les artisans locaux a permis la création d’un événement en 2017 organisés par les habitants pendant quatre jours consécutifs, rassemblé 4 000 personnes dans la rue et fait jouer plus de 200 musiciens locaux.
En parallèle, l’association “Les Marmoulins de Ménil'” par exemple récupère deux fois par semaine les produits bio invendus sur le MIN de Rungis (8) et distribue les 2/3 gratuitement auprès d’une 50aine de familles. À ses adhérents, elle vend le tiers restant sous forme de cagettes à un prix fixe de 5€. Cette action permet aux différentes franges de la population de se côtoyer et d’apprendre à se connaître pour mieux vivre ensemble.
Un supermarché coopératif et solidaire dans le 20e
Grâce aux Marmoulins, des populations de religions, d’origine, de niveaux de vie ou de lieux de résidence différents se rassemblent plusieurs fois par semaines pour échanger et partager. En menant une étude auprès des bénéficiaires de l’association j’ai réalisé que les plus précaires n’étaient généralement pas au courant des initiatives coopératives ou solidaires qui se développaient en dehors des circuits traditionnels comme les “Restos du coeur” (9) ou les associations d’aides alimentaires. Pour des raisons financières ou parfois culturelles ou simplement par timidité ou à cause de la barrière de la langue, peu de personnes fragiles rejoignent ce type d’initiative. Et c’est pourtant dommage car les produits proposés par un supermarché coopératifs, par exemple, répondent d’abord aux besoins de ses coopérateurs. Si la mixité des coopérateurs n’est pas représentée, les produits proposés ne répondent qu’à une partie de la population et exclue alors l’autre partie.
De là est née La Source, un supermarché coopératif, collaboratif et solidaire que je souhaite ouvrir dans le 20e. L’objectif est de continuer l’expérience des Marmoulins en ouvrant un supermarché où chaque coopérateur acquière une part sociale et vient travailler 3h par mois bénévolement. Il bénéficie alors de tarifs avantageux grâce à l’économie réalisée sur les marges et sur les salaires.
L’implantation se fera dans les quartiers prioritaires ou quartiers politique de la ville qui sont définis selon plusieurs critères en commençant par la nécessité de dynamiser les activités associatives et commerciales. Notre cible est ultra localisée, comme expliqué précédemment pour des raisons de déplacement, nous ciblons alors les habitants qui vivront ou travailleront à moins de 500m de La Source. Nous avons réalisé en effet après discussion avec le fondateur de La Louve (10) que seule la moitié des coopérateurs actifs venaient effectivement faire leurs courses en dehors de leurs horaires de service bénévole. Plus grave, la moitié de ces membres remplissaient un caddie chaque mois. Il ressort en effet que seuls les coopérateurs vivant ou travaillant à moins de 500m faisaient l’effort de se déplacer pour faire leurs courses.
L’alimentation comme générateur de lien social
Au delà d’une économie sur les produits, nous avons souhaité aller au delà de l’acte d’achat et faire de la Source un lieu de vie et d’échange. L’envie de participer existe, il y a un vrai désir d’échange, quelque soit l’origine sociale ou culturelle et c’est cet aspect que nous essayons de développer avec la population du 20e. Car la cuisine rassemble les curieux, les amoureux de la bonne bouffe mais aussi fédère autour d’un plat autant qu’une recette peut ouvrir sur un vrai débat, nous avons également choisi d’ouvrir une cuisine associative attenante au supermarché. Gérée par l’association “Un peu avant la Source” qui accompagne La Source, cette cuisine aura pour vocation à proposer des ateliers cuisine, être un lieu de rassemblement pour les associations locales, une salle à disposition des habitants qui veulent fêter un anniversaire ou célébrer une bonne nouvelle, bref, un espace dédié au vivre ensemble.
(1) Recensement des supermarchés coopératifs en France et Europe
(2) Projet de Halles Alimentaires à Paris
(3) carte des secteurs parisiens issu du rapport cité en note (2)
(4) Étude Insee “En IDF, l’usage de la voiture pour aller travailler diminue“
(5) TNS-SOFRES “Approvisionnement en produits frais: français, francilien et logistique urbaine”
(6) Association.gouv.fr “L’essentiel de la vie associative à Paris“
(7) Insee, “Une mosaïque sociale propre à Paris”
(8) Le Marché d’Intérêt National de Rungis est la centrale d’achat qui centralise les produits alimentaires vendus en France
(9) Association d’aide alimentaire et d’accompagnement vers l’autonomie
(10) La Louve est le premier supermarché coopératif en France. Il a ouvert en 2016 à Paris dans le 18 et reprend exactement le modèle de la “Park Slope Food Coop” installée à Brooklyn depuis plus de 40 ans.