Rick Thurmond (Translated by Thomas Huebner and Caroline Fache)
Lors d’un jeudi chaud de novembre 2017, je me suis retrouvé à l’extérieur de la porte d’entrée de l’université Johnson C. Smith (JCSU), une université traditionellement noire dans le quartier “West Side”de Charlotte. Je travaillais sur une petite place connu sous le nom de Five Points: où cinq rues convergeaient autrefois. Avec quelques cartons prédécoupés, j’aidais à assembler des kiosques qui accueilleraient des fournisseurs locaux le lendemain.
Tout près, un groupe d’hommes me dévisageait avec prudence. Cette place était leur lieu de rassemblement habituel; j’étais un “outsider.” Chaque jour, ils prenaient le temps de s’asseoir sous les arbres, d’échanger des histoires ou, tout simplement, de se tenir compagnie tranquillement. La plupart de ces hommes étaient africains-américains; je suis blanc. Les quartiers qui entourent la place — Seversville, Biddleville, Smallwood, sont principalement habités par des Africains-Américains de la classe ouvrière depuis des décennies.
Pendant un petit moment, je me suis concentré sur mon travail. Nous avions beaucoup de meubles à construire en peu de temps. Près de moi, un autre petit groupe de gens était en train de peindre sur un bout de la chaussée que les voitures n’utilisent plus. Dans la rue, une autre équipe peignait des pistes cyclables en bleu et des passages piétons en blanc. Finalement, l’un des hommes qui s’était déplacé de l’endroit habituel vers l’épicerie adjacente, m’a demandé ce que je faisais. En fait, il m’a demandé s’il pouvait se promener dans le coin — le coin même où il se promenait chaque jour. L’insinuation était claire. Je venais d’arriver dans leur quartier, un homme blanc qu’ils n’avaient jamais vu, et j’avais commencé à assembler des meubles à l’endroit où il avait l’habitude de s’asseoir. De toute évidence, je signalais que ce je faisais n’était pas pour eux. Quoi que je sois en train de faire, c’était pour quelqu’un d’autre.
Dépité, je me suis présenté et lui ai demandé son nom. J’ai expliqué à James que j’étais bénévole. Nous préparions un fête de quartier qui se déroulerait ce soir-là et le lendemain. L’événement leur était destiné, à lui et ses amis, et tous ceux qui voulaient venir. Je lui ai demandé s’il voulait aider.
James voulait participer. Et bientôt, quelques-uns des hommes m’aidaient à monter des bancs et à déplacer des planches. L’un des hommes a fait des suggestions sur l’endroit où installer les choses. Un autre négociait pour ramasser les ballots de foin que nous utilisions pour séparer les pistes cyclables de la circulation. Apparemment,
il possédait quelques animaux de ferme. La plupart nous ont dit qu’ils resteraient ou reviendraient pour les festivités du soir, qui comprenaient un DJ et quelques “food trucks.” Beaucoup d’entre eux sont revenus. Les habitants du quartier ont dansé sur la musique du DJ jusque tard dans la nuit.
Le lendemain était un beau samedi de novembre. Des poètes, des rappeurs et des chanteurs se sont produits sur une scène temporaire pendant que des voisins étaient assis sur des chaises “Adirondack” assemblées et peintes par des étudiants de JCSU la veille. Les vendeurs locaux ont vendu de l’art, des bijoux et des vêtements. Le petit cimetière a accueilli une bibliothèque temporaire et des activités pour les enfants. Un café a ouvert pour la journée dans une devanture vide. Ses murs avaient été recouverts d’art contre l’embourgeoisement. Les bénévoles notaient comment et où les gens traversaient la rue et sondaient les participants. Les urbanistes ont présenté leurs concepts pour une future rénovation de la place. Cet événement, appelé “Better Block, ” testait ces concepts.
Ce n’était pas une réussite complète. Une brasserie locale avait installé un petit jardin de bière. Mais ils n’ont vendu aucune bière, alors ils ont tout remballer et sont rentrés chez eux. En fait, on peut appeler cela une réussite. Les gens du quartier ont exprimé leur préférence et obtenu les résultats souhaités.
Au cours des deux dernières années, j’ai assisté à plusieurs événements de quartier dans le Historic West End à Charlotte. C’était vraiment l’une des premières fois que j’ai vu une foule vraiment diverse : noirs, blancs, nouveaux arrivants, vétérans du quartier, visiteurs, étudiants. Ce n’était pas par hasard. Des mois d’engagement communautaire ont précédé l’événement. Un comité d’organisation s’est réuni chaque semaine. Des sous-comités se sont chargés de tâches différentes. Les gens se sont passé le mot. Le niveau de participation des bénévoles à la préparation de l’événement a été inférieur à ce que nous espérions (j’étais l’un des bénévoles), mais plusieurs voisins et étudiants de JCSU se sont présentés en semaine pour travailler toute la journée en plein soleil.
Tout ce travail préparatoire était conçu pour traverser des couches d’histoire qui ont amené cette communauté à se méfier de tout nouveau projet ou toute nouvelle idée provenant de l’extérieur du quartier. Mais vous savez ce qui a aussi fait la différence? Se présenter, faire le travail, regarder James dans les yeux, lui demander son nom et l’inviter à participer au projet.
Historic West End qui se trouve à un kilomètre et demi du centre-ville se compose de rues bordées de vieux arbres et de petites maisons charmantes. C’est aussi le site d’un gros investissement public sur une nouvelle ligne de tramway et d’autres améliorations de l’infrastructure.
Investir dans l’infrastructure d’un quartier précis est la manière dont le gouvernement signale où il souhaite promouvoir le développement économique. Dans ce cas, cela fonctionne, puisque les prix du logement explosent et de nouvelles personnes viennent s’installer dans des quartiers qui, pour la plupart, ont vu peu de changements au fil des ans, voire depuis des décennies. Biensûr, cela cause des tensions. Les signes d’inclusion et d’exclusion sont partout.
À Wesley Heights, un des quartiers du Historic West End, un promoteur immobilier construit un lotissement de maisons de ville. Premier signe: le nom: Uptown West Terraces. Ce nom ne fait aucune référence au riche patrimoine de la zone qui l’entoure. Au lieu de cela, le nom indique à un acheteur potentiel que les maisons sont situées près du centre-ville. Deuxième signal: le marketing. Toutes les personnes représentées sur le site de vente sont blanches. Les deux premiers commerces de proximité présentés sur le site sont un marché urbain hipster et une brasserie, deux signes bien connus de l’embourgeoisement.
Le lotissement en est encore au premier stade de la construction. Mais j’ai une assez bonne idée de qui finira par y vivre.
L’embourgeoisement est aussi en train de s’étendre vers les plus éloignés quartiers West-Side, quoique plus lentement. Dans l’un des quartiers, la majorité des logements était à louer. Mais, au fur et à mesure que la valeur immobilière augmente, certaines de ces maisons deviennent des logements occupés par leurs propriétaires. Bon nombre de ces nouveaux propriétaires sont des nouveaux venus dans le quartier. Ils apportent avec eux des méthodes d’organisation qui leur sont familières, telles que les associations de propriétaires. Par définition, ces organisations excluent les locataires. Même si une association décide d’admettre des locataires, un tas de petites choses peut faire qu’un locataire se sente exclu: le jour et l’heure des réunions, la manière dont les réunions sont annoncées, le manque de services de garde d’enfants; même la façon dont les réunions sont organisées peut mener à leur exclusion. Imaginez que votre expérience de la communauté soit les voisins que vous voyez à l’arrêt de bus ou au magasin, ou sur la petite place près de JCSU. Vous n’avez jamais assisté à une réunion officielle du conseil. Vous surmontez
les obstacles pour y assister. Et tout à coup, on vous présente les Robert’s Rules of Order1 – proposer et seconder une motion, temps accordé pour parler ou non. Visiblement, ce système est conçu pour être équitable, mais il n’est juste que si l’on connait bien les règles. “Cela crée le désarroi général,” comme l’explique l’un des leaders du quartier.
Les quartiers utilisent également la technologie pour inclure ou exclure. D’une part, des outils tels que la messagerie électronique, Facebook et Nextdoor facilitent la dissemination d’informations dans de grands groupes de personnes. Mais seules les personnes ayant accès à la technologie ont accès aux informations. Vingt-et-un pourcent des ménages de Charlotte n’ont pas du tout accès à Internet ou seulement par connexion bas débit. De grandes parties du comté n’ont pas accès au haut débit. Plus le revenu moyen d’un quartier est bas, plus ces pourcentages augmentent. Nextdoor, en particulier, peut être un outil d’exclusion. Le site est connu pour son profilage racial. Allez visiter n’importe quelle page active de Nextdoor pour trouver un quartier à prédominance blanche, et vous ne tarderez pas à trouver un message invitant les voisins à se méfier de la personne à la peau foncée qu’on a vue se promener dans la rue ou conduire une voiture. (Depuis la publication de l’article au lien suivant, l’entreprise a pris de véritables mesures pour résoudre ce problème, mais malheureusement cela persiste.) Je conclurai sur l’un de mes événements préférés à Charlotte. Selon son site web, Open Streets 704 “vise à construire une communauté meilleure, plus saine et mieux connectée en encourageant les habitants de Charlotte et du comté de Mecklenburg à marcher, à faire du vélo et à visiter la ville ensemble d’une manière impossible en voiture.”
Deux fois par an, une zone de cinq à sept kilomètres de rue à Charlotte est fermée aux voitures. Les résidents et les commerces le long du trajet sont encouragés à participer comme ils le souhaitent, avec seulement deux règles de base: vous ne pouvez rien vendre, et vous devez essayer d’avoir quelque chose à faire. Certains
résidents érigent des stands de limonade gratuits ou animent des scènes ouvertes. Il y a beaucoup de jeux sur gazon dans la rue. Les enfants décorents les rues avec de la craie. Quelques endroits érigent des scènes pour les groupes de musique. Les commerces animent leur pas de porte avec des activités comme peindre des citrouilles, jeux de lancer ou même des maisons gonflables. Près de 25 000 personnes à pied ou sur deux roues remplissent les rues.
Pourquoi y a-t-il tant de monde? Parce que tout le monde se sent le bienvenu. Open Streets parcourt des quartiers principalement résidentiels. Signe numéro un: aucune voiture autorisée dans la rue. Venez marcher, faites du vélo, emmenez vos enfants, profitez-en! Signe numéro deux: les résidents dans leur jardin devant la maison. Signe numéro trois: activités pour tous les âges. Peu importe votre âge, vous ne pouvez pas parcourir vingt mètres sur le trajet sans trouver quelque chose d’intéressant à faire ou à voir. Signe numéro quatre: absence de police. Ou plutôt, le rôle de la police est de garder les voitures à l’écart pour que les gens puissent aller et venir librement.
Comparez cette approche à une fête d’Halloween dans mon quartier, un quartier majoritairement blanc de la classe moyenne supérieure, près d’un centre commercial haut de gamme. Cet événement annuel relativement important organisé par quelques familles porte le nom du quartier et comprend des jeux, une maison hantée, des desserts amenés par les familles et de la pizza. Mais c’est sur invitation seulement, histoire de contrôler le nombre d’invités. Ma famille habite trois rues plus loin et nous connaissons quelques familles qui vivent dans cette rue. Mais les gens de notre rue n’ont jamais été invités parce que nous vivons “de l’autre côté” du quartier. On doit bien fixer des limites quelque part, non?
L’année dernière, nous nous sommes finalement incrustés à la fête, nous nous sommes beaucoup amusés, et on ne nous a pas demandé de partir. Notre fille de sept ans ne connaissait pas la différence, mais alors que je discutais avec des gens lors d’une fête au nom du quartier dans lequel je vis depuis 15 ans, je ne pouvais pas m’empêcher de me poser la question: suis-je censé être ici?